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LIENS RELATIFS

1-Un film noir

2-Le malaise

3-La fugue

4-Le Lost Highway Hotel

5-Un film onirique

 


AUTEUR

Nicolas Lossec

 

2- LE MALAISE

 

La première partie du film nous fait découvrir la situation de crise dans lequel le couple Madison se trouve. Dans un passé proche, ces deux-là se sont aimés follement, ces choses se devinent. Mais la passion a laissé place à l’hébétude, à la tristesse de s’apercevoir que les cendres sont froides et que plus rien ne pourra les ranimer.

Tout dans l’univers du couple rappelle la froideur de leur relation. Le premier sentiment que le spectateur capte de Lost Highway est la peur, la peur panique devant l’horreur de l’amour mort.

Visuellement, le décor est très minimaliste. La maison est traitée comme un no-man’s land, dont l’espace désespérément vide se déforme sous les angles de prises de vues, elles-mêmes désespérément fixes. Le spectateur n’arrive même plus à relier les différentes pièces entre elles. L’espace devient un véritable labyrinthe dans lequel les deux corps désunis s’évitent, se frôlent parfois sans jamais plus se rencontrer.

 

Wouf Wouf

La maison des Madison.

Un espace vide replié sur lui-même

 

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Fred sent bien qu’il est en train de perdre sa femme. On le sent un peu comme un enfant, il sent que sa mère désire quelque chose qui est au-delà de ce qu’il peut lui offrir. Il se remémore cette soirée au club de Jazz, lorsque Renée s’enfuit avec ce type, Andy… on peut alors voir le panneau " EXIT " au-dessus de la porte : c’est exactement ce qu’elle cherche à faire, trouver une échappatoire à la vie morne que mène leur couple.

Aussi, après avoir fait l’amour à Renée ( tout seul ), Fred ne montre pas seulement de l’horreur sur son visage, et semble aussi demander : " Que suis-je pour toi ? Que suis-je pour l’autre ? " Fred est complètement dépendant du désir de l’autre, il est donc nécessaire pour lui, que l’autre, Renée, se donne entièrement, comme une mère. Ainsi, ce ne sera que dans l’imaginaire qu’il pourra tenter de rejeter cette castration par tous les moyens.

La bande-son joue un rôle très important dans le ressentiment du malaise. Il y a tout d’abord ces sons graves, semblables aux sons de quelques machineries lointaines mais pourtant omniprésentes tout au long des séquences. Ces sons contribuent à installer une ambiance sombre, dramatique et donne au spectateur une sensation physiologique de malaise. C’est là un procédé que Lynch avait abondamment utilisé dans son premier film : " Eraserhead ". La nouveauté dans Lost Highway est que ces effets sont régulièrement soulignés et amplifiés par des notes de violoncelle et/ou de synthétiseur. Or l’effet produit sur le spectateur diffère légèrement, puisque celui-ci a conscience du rajout de ces sons par le réalisateur.

 

On peut classer les éléments d’une bande-son en deux catégories :

Ce sont les sons acousmatiques qui nous intéressent ici. On peut en différencier au moins deux types :

 

On remarquera constamment dans Lost Highway une véritable maîtrise des sons acousmatiques, si bien qu’il nous sera souvent impossible de distinguer les sons hors-champs des sons offs, tels que nous les avons définis ci-dessus.

Si on prend l’exemple d’une simple ambiance comme celle de l’extérieur de la maison des Madison, on s’aperçoit qu’elle est totalement contrôlée. Selon Lynch : " Il y a des sons qui tuent une ambiance. Il faut donc se débarrasser de tout ce qui n’est pas nécessaire, et ensuite mettre en place tous les petits détails qui vont contribuer à l’ambiance et en faire un tout. "(1)

Ainsi, l’ambiance extérieure d’avant l’arrivée des cassettes vidéos est uniquement composée par le champ d’un oiseau. Par contre, à l’arrivé des cassettes, c’est l’aboiement d’un chien qui remplace l’oiseau. Un chien dont Fred n’est même pas sûr qu’il existe : " A qui appartient ce foutu chien ? ". L’aboiement devient ici complètement métaphorique, il devient le symbole du danger, de l’agressivité, il est le signe extérieur du drame qui va avoir lieu.

 

Mieux que cela, même les sons directs, les quelques dialogues que s’échangent Fred et Renée semblent eux aussi déformés. Déformés, non pas dans leurs timbres mais plutôt déformés par leur absence d’acoustique, de réverbération. La prise de son grossit tellement leurs voix qu’il semble ne pas y avoir d’espace autour d’eux. On a l’impression que les personnages chuchotent, et pourtant chaque syllabe est entendue très clairement. Chaque son devient aussi tranchant qu’un rasoir.

 

Lire quoi, Renée ?

La scène où Renée annonce qu’elle préfère rester à la maison pour lire est particulièrement révélatrice de cet effet : le spectateur est littéralement poussé dans l’intimité des personnages, si bien que chaque émotion transparaît de manière très nette.

Le mensonge de Renée devient insupportable, tout comme le silence assourdissant qui les entoure et les étouffe peu à peu.

 

Pourtant à cet univers clos sur le malheur répondent les bruyants échos du club de Jazz, où Fred exerce ses talents de sax ténor. La musique représente clairement pour Fred un défouloir, un moyen de se décharger. Malheureusement ce palliatif sera loin d’être suffisant.

 

 

2.1- LE MEURTRE

 

Fred Madison ne sera jamais vraiment conscient du meurtre qu’il a commis, ou plutôt, à chaque fois qu’il prendra conscience de son acte meurtrier, il tentera de fuir la réalité à travers une identité parallèle.

Les cassettes vidéos sont les premiers signes de ce refus. Il s’en suivra une longue période de " gestation " que l’on pourrait visualiser comme la torsion dans le ruban de Moebius, et qui aboutira à une véritable fissure de celui-ci lors de la transformation de Fred en Pete.

Cette " gestation " comme je l’ai appelé sera le fruit d’une multitude de passages et de rencontres qui seront récurrents lors de la deuxième transformation ( Pete/Fred ).

 

 

Les vidéos

 

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Les vidéos formeront l’ultime passage qui mènera Fred à " fuguer ". Ce passage est tout simplement celui de l’inconscient au conscient, la conscience du meurtre. L’image vidéo sera pour Fred la preuve inéluctable de sa culpabilité.

Il l’avoue lui-même lorsqu’il prononce cette phrase aux policiers, à propos de son dégoût pour les caméras vidéos : "  J’aime me rappeler les choses à ma façon (…) Comme je m’en souviens. Pas forcément de la façon dont elles se sont passées. " Autrement dit, tout ce qui sera présenté sous forme de vidéo ne pourra être que la pure vérité, comme une mémoire figée.

 

L’homme mystère

Lynch considère l’homme mystère, ou faudrait-il l’appeler l’homme sans nom, comme une abstraction. Maître démiurgique du temps et de l’espace, il possède le don divin de l’ubiquité.

Si l’on considère qu’il existe plusieurs fissures dans le film, des fissures entre un individu et un autre, entre un individu et lui-même, ou encore entre une chose et sa représentation, alors on peut affirmer que l’homme mystère en est le guide. Un guide inhérent à l’esprit de Fred, mais cependant incontrôlable.

Il paraît évident de voir un rapprochement direct entre les vidéos anonymes et l’homme mystère ( on comprendra mieux son rôle dans la troisième partie du film ).

 

 

Le miroir

Le thème du miroir revient souvent tout au long du film. Symbole du double, il est aussi signe de dualité et de questionnement sur l’identité.

Le miroir est toujours placé dans un milieu totalement noir, si bien qu’il devient parfaitement invisible. Le spectateur se demande même si le miroir existe. Le double prend corps.

 

 

 

La métaphore du double, ou quand la menace se fait réplique du moi.

 

 

 

 

Peu avant le meurtre, on a l’impression que Fred rencontre littéralement son double au détour d’un couloir. Il nous regarde, l’air effrayé, et l’on ne sait plus très bien si c’est vraiment nous ou son image qu’il observe.

 

 

 

 

Le noir

Présenté comme " un film noir d’horreur du XXIème siècle ", la couleur noire à proprement parler tient une place fondamentale dans Lost Highway.

Pour Lynch, la couleur noire, plus que tout autre, laisse le regard et le pensée s’égarer : c’est à ce moment qu’est possible le dérapage psychologique. C’est le lieu du trouble et du symptôme, là où tout converge, se noue ou se disperse. Chez David Lynch, " L’obscurité unit et fusionne ce que la lumière sépare (…) Elle efface les contours des objets distincts et reconstitue le tout perdu ".

Il y a surtout ce couloir noir, sans fin, où Fred ne cesse de se perdre peu avant le meurtre. Le noir est là encore un lieu de passage et de transformation, lieu du possible et de la séparation psychologique pour le cas qui nous intéresse ici.

 

Une fois encore, Lynch nous livre tous les indices nécessaires pour ne pas semer la confusion ; en effet si l’on regarde bien la séquence d’avant le meurtre, on voit chronologiquement : Fred entrer dans la pénombre du couloir ; Fred qui erre dans le living pendant que renée l’appelle ; on distingue ensuite deux ombres sur un mur, puis Fred, l’air complètement changé, qui ressort de la pénombre, et enfin la caméra semble sortir véritablement de l’écran de télevision, noir.

 

Fred revient de son voyage dans le noir.

Il n'est plus vraiment le même.

 

 

 

Le rébus est parfaitement clair, et bon nombre de scènes antérieures s’expliquent d’elles-mêmes : les rêves de Fred, ou même les cassettes vidéos, qui semblaient jusqu’à lors prémonitoires se dévoilent désormais comme des pures réminiscences. Le temps est devenu pour Fred dangereusement hors de contrôle et l’écran vidéo en est le macabre témoin.

 

 

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