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LIENS RELATIFS

1-Un film noir

2-Le malaise

3-La fugue

4-Le Lost Highway Hotel

5-Un film onirique

 


AUTEUR

Nicolas Lossec

 

3- LA FUGUE – Une vie nouvelle ( ?)

 

La fugue de Fred, sa transformation en Pete Dayton prendra plusieurs jours pour se réaliser complètement. Fred semble hanté par la vision du meurtre pendant son séjour en prison. Sa tête le fait atrocement souffrir et la douleur devient bientôt insupportable. On a aucun mal à deviner que c’est l’idée même de sa culpabilité qui lui est insupportable : comment aurait-il pu, lui, tuer un être qu’il aimait de toutes ses forces ?

 

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La transformation de Fred. Un processus complexe de construction et de déconstruction.

 

Quelque chose de profond s’est brisé en lui, et il ne pourra continuer à vivre qu’en tentant de reconstruire sa personnalité : c’est la fabuleuse image du bungalow au milieu du désert qui se reconstruit et qui lui ouvre de ce fait une nouvelle porte de sortie, un nouveau cycle sur le ruban de moebius. Fred a accouché de Pete, sorti de ses entrailles dans une explosion de chair vive, littéralement chié par un sphincter sanglant, à travers une faille spatio-temporelle vers la vie passée de sa mal-aimée.

Alors commence un second film, aussi luxuriant et bariolé que le premier était clinique et monochrome, mais tout aussi étouffant.

Chez Lynch, l’emploi des objets symboles d’une imagerie figée est propice à tous les déclenchements narratifs. Ils sont autant de leurres, d’autant plus efficaces qu’immédiatement reconnaissables, pour égarer le spectateur dans un univers subtilement transgressé.

 

L’arrivée des parents de Pete par exemple, en cuir et en ray-ban, agit sur le spectateur comme le manifeste probant d’un nouvel univers entièrement fantasmé.

 

 

 

Comme son personnage masculin, Lynch remonte aux sources du film noir afin de faire affleurer les racines du mal.

Pete Dayton, véritable cliché ambulant, mélange de La fureur de vivre et du feuilleton Happy Days, mène une vie apparemment complètement différente de Fred. Pete est jeune, libre, entouré d’amis, possède le confort du soutien parental, a une petite amie qui l’aime, un emploi stable,… sa vie paraît tellement différente qu’elle en devient suspecte pour le spectateur. Ne reste-t-il plus rien de la passion dévorante et de la solitude de Fred ?

 

 

3.1- Alice et M.Eddy/Dick Laurent

 

Renée, la brune glaciale, s’est métamorphosée en Alice, la blonde explosive. Son arrivée va bouleverser la vie de Pete en le plaçant devant une équation insoluble, jusqu’à ce que tous ses idéaux s’écroulent un par un.

Alice est la synthèse sur-signifiée de toutes les garces des films noirs, elle incarne surtout le sexe à elle toute seule. Cheveux platine, lèvres peintes et humides, elle apparaît pour la première fois dans une cadillac noire, elle aussi est une icône mouvante prélevée dans le réservoir des mythes éternels.

 

 

Il est difficile de s’empêcher de comparer Alice au personnage que jouait Kim Novak dans Vertigo : une (fausse) blonde entourée d’un mystère épais, une femme fabriquée de toute pièce pour faire perdre la tête au personnage masculin.

Comme Hitchcock, Lynch s’empare du cliché de la femme fatale pour mieux le faire imploser par la suite.

La mystérieuse Renée semble en effet s’être non seulement réincarné en Alice, mais aussi dans plusieurs autres personnages. On pourrait même affirmer que chaque personnage, dans la vie de Pete Dayton est la représentation concrète d’un manque ou d’une émotion passée.

Alice est indissociable de Monsieur Eddy, elle est sa propriété personnelle. Lynch est quelqu’un qui croit profondément en l’existence du mal. Ainsi Monsieur Eddy, dont le spectateur apprendra plus tard la véritable identité par un intermédiaire extérieur ( les flics, véritables gardiens d’un dernier lien fragile avec la réalité ), représente toute la part d’ombre de l’ancienne Renée. Il forme désormais l’ultime obstacle pour Pete avant de pouvoir posséder Alice.

Le complexe d’Oedipe est constamment présent dans Lost Highway. Nous avons déjà souligné le côté maternel de Renée au début du film. Or, dans cette seconde partie, c’est bel et bien Dick Laurent ( dont le prénom est loin d’être innocent) qui représente maintenant la figure paternelle, bien plus que l’ " officiel " qui lui, paraît encore plus adolescent que Pete.

 

C’est l’âge, le pouvoir et surtout l’attitude qu’a Laurent envers Pete qui donne immédiatement au spectateur le sentiment d’un rapport père-fils entre les deux hommes.

 

 

 

Lynch ne se présente pas comme un cinéaste intellectuel, mais bien comme un artiste instinctif, et il est d’autant plus fascinant de découvrir que ce qui serait pour lui une incarnation mythique du mal (Laurent), révèle chez le spectateur des mécanismes profonds que la psychanalyse a pu mettre en évidence.

 

Petit rappel sur l’Œdipe

Freud installe le père au centre du complexe d’Oedipe. Il est à la fois celui qui en ouvre l’entrée au sujet, et celui qui détient la clef de son issue. Qu’il s’agisse d’y progresser par l’appui des identifications dont il est le support, ou de s’en dégager par l’endossement de son meurtre ; qu’il s’agisse de désigner au sujet ce qui doit être l’objet à convoiter, la mère, et de maintenir cet objet comme désirable en l’affectant d’un interdit ; qu’il s’agisse enfin de garantir le nom des choses, celles du sexe en particulier, comme de leur usage, et de répondre de leur manque, comme de leur privation ; toutes ces opérations qui font que le drame oedipien nécessitent le père, dans le rôle de l’agent, du témoin, du juge, du partenaire, voire du comparse.

Les fonctions à la charge du père sont multiples, autant que disparates ; le père n’est ni une personne, ni un sujet, mais seulement un point d’arrimage pour le matériel associatif du sujet.

L’entrée dans l’oedipe est déclenchée par le père, déclenchement d’ailleurs successivement nommé : obstacle, arrêt, interdiction, menace, portant soit sur la mère, soit sur la masturbation ; la sortie de l’oedipe, " déclin ", a, elle, une unique signification : la mort du père, ou, plus précisément, la montée sur la scène du " père-mort ", ce qu’il faudrait écrire en un seul mot, tellement ce nouveau personnage semble rassembler, unifier, synthétiser et conclure le bric-à-brac du labyrinthe oedipien.

 

En psychanalyse, le père est accepté par le sujet comme une idéalisation de l’ego, et sert ainsi à incorporer les lois de la société. Toutefois, il se peut que cette figure idéale soit remplacée par un super-égo, où le père tient un rôle pervers et impose ses propres lois.

Laurent semble correspondre parfaitement à ce rôle mythique du père primitif ( l’Urvater, comme le nomme Freud ), un père identifié à la jouissance elle-même et, de ce fait, hors la loi. Le père primitif aime toutes les femmes, il est le chef, celui qui dicte les lois ; et lorsque ses fils le tuent, ils s’interdisent alors d’aimer toutes les femmes. Ce père primitif se dissocie cependant du père originaire, ce qui justifie dans le film la présence des parents de Pete.

 

La séquence dans laquelle Mr Eddy emmène Pete en promenade, pour soit disant régler sa voiture, agit comme le manifeste de sa toute puissance. Mr Eddy force quasiment Pete, en l’obligeant à le suivre, a assister à l’humiliation sadique qu’il inflige au conducteur irrévérencieux. Pete assiste, sans pouvoir dire un mot, au plaisir qu’éprouve Laurent à battre ce conducteur. Un plaisir d’autant plus pervers qu’il se sert de la loi pour prétendre justifier ses actes.

 

Il y a donc bien une évolution sensible dans la nouvelle vie que Fred s’est inventé, car de son comportement pré-oedipien qu’il semblait adopter dans le désir le l’autre avec Renée, il rentre complètement dans l’oedipe, sur l’autre face du ruban de Moebius, avec un père qui s’impose à lui comme un monstre.

 

3.2- Le retour du malaise.

 

La rencontre avec la mystérieuse Alice déclenchera chez Pete un désir irrésistible, qui deviendra bientôt une passion dévorante. Leurs nombreux rendez-vous clandestins sera l’occasion pour Pete de retrouver chez elle cette petite flamme dans les yeux, ce désir que Renée avait perdu depuis longtemps et qui lui donne à nouveau le sentiment d’exister.

 

On sent pourtant chez Alice une certaine réticence à se livrer entièrement. Elle possède, comme Renée, certaines faces cachées, un passé sombre qui fait d’elle une femme dangereuse, perverse, et si attirante.

 

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A gauche, Renée appelle la police ; A droite, Alice annonce que Laurent se doute de quelque chose.

Les mêmes lèvres aussi sensuelles que dangereuses...

 

Pourtant, contrairement à Renée, Alice lui dévoilera son passé, et c’est en acceptant de se livrer entièrement que Pete décidera de la suivre. Pour Pete, tout est clair : Alice est une victime, une fille un peu paumée que l’on a abusé et qui n’attendait qu’un type comme lui pour la sortir de là.

Ainsi Pete va peu à peu renoncer à tout ce qu’il a, à tout ce qu’il s’était créer. Ca commence par sa petite amie, Sheela, qui ne lui inspirait d’ailleurs que peu de sentiments, mais à laquelle il avait du finir par s’attacher : elle le plaque ( au sens propre comme au sens figuré ) brutalement à cause de sa liaison. Sa tête commence à le faire souffrir. Il a maintenant des troubles de la vision. Puis c’est au tour de ses parents de disparaître brutalement, lorsque Mr Eddy le menace au téléphone, et que l’homme mystère refait son apparition… Toute la nouvelle vie de Fred s’écroule à présent. La peur. La peur panique refait surface. Pete n’a plus le choix, pour posséder Alice il faut lui faire confiance.

 

3.3- La désillusion

 

Pete en meurtrier.

Seul face au mystère de la jouissance féminine, sa quête se transforme en cauchemar.

 

 

 

Pete a tué Andy. Il ne reste désormais plus rien de la vie de Pete Dayton, il ne peut plus faire marche arrière. La vie de Fred commence à rejaillir de sa mémoire, mais il y a toujours deux femmes sur la photographie du salon.

 

 

La vie toute entière de Pete est entre les mains d’Alice. Une Alice qui refuse désespérément de se soumettre et et se permet même de jouer avec la confiance de Pete, en le menaçant avec le revolver.

Pete n’arrive pas, ici encore, à soustraire la part d’ombre qui habite Alice, et son tourment le mènera même, l’espace d’un instant, au Lost Highway Hotel dans lequel sa peur peut prendre de multiples aspects. Il y voit Alice et/ou Renée faisant l’amour avec le mal, dans une plaie ouverte de son cerveau et donc le sang lui coule sur le visage.

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Alice/Renée: " Tu voulais me demander : pourquoi ?"

 

Pourtant c’est l’espoir, l’espoir insensé de pouvoir encore posséder Alice qui le fera une dernière fois revenir dans sa réalité. Il lutte une nouvelle fois contre son cerveau et prend rendez-vous en son siège avec Alice, pour l’ultime moment de vérité.

" Pourquoi moi ? " lui demande-t-il dans le désert, autrement dit, pourquoi cette nouvelle vie, et pour quel résultat ?

La réponse d’Alice sera aussi belle que foudroyante.

La scène dans laquelle Pete et Alice font l’amour dans la lumière aveuglante des phares est sans doute l’une des deux scènes clés du film. Elle répond en effet à la scène d’amour de la première partie, où Renée, par manque de désir évident, caressait le dos de Fred pour le réconforter.

On pourrait presque résumer le film avec ces deux séquences : un désir sexuel non partagé dans un premier cas, puis un désir ressuscité dans l’imaginaire pour le second. Une symbiose entre les deux corps d’ailleurs magnifiquement représentée par la chanson Song for the siren, interprétée par This Mortal Coil. Chanson que l’on découvrait de manière très lointaine dans la première scène d’amour avec Renée, avant d’être totalement inhibée par son regard glacial.

 

vUn cycle d'amour mort...
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f...et un cycle d'amour fantasmé.

Pete a échoué. Sa mémoire a repris le dessus.

" Tu ne m’auras jamais. ", avec cette seule phrase tant redoutée, Pete et Alice n’ont plus de raisons d’exister. Il n’y a plus qu’une seule femme sur la photo d’Andy, et c’est l’homme mystère qui le lui rappelle : " Alice quoi ? Elle s’appelle Renée. Si elle vous a dit s’appeler Alice, elle vous a menti… Et votre nom à vous, comment vous appelez-vous, bordel ? "

L’homme mystère a une caméra vidéo au poing, l’arme du réel. Fred, choqué, refuse encore ce retour brutal à la réalité qui lui court littéralement après. Mais il s’y résoudra, car la seule façon pour lui de rétablir un certain équilibre ( un nouveau cycle sur le ruban ), c’est d’éliminer le mal à sa racine, dans la chambre n°26 du Lost Highway Hotel.

 

 

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