LE DADA DU SONNET (l’hobby del sonetto),1973 éd. Post.2005, Italie, ≈230p)
de Pier Paolo Pasolini

Extrait :

[44]

Je ne peux plus – avec la cruauté
que celui qui aime ne pardonne pas à celui qui l’aime –
mais que le monde comprend – vous obliger
à choisir : elle ou moi. De fait, désormais

vous avez choisi. Inexplicablement je ressens
une pitié pour votre nouvelle vie : mon âme peut-être
aveuglée mais rusée, a inversé les rôles
et se tourmente pour vous, pour votre liberté,

et non pour elle-même. Il est vrai
que vous êtes, et que vous vous sentez inférieur
à cette liberté, vous pauvre homme du ciel.

Mais ce qui vous attend est l’univers
pour lequel vous étiez né : et dans vos yeux ignorants
on voit que vous ne pouvez, impunément, l’avoir perdu.

[110]

Il y avait dans le monde – personne ne le savait –
une chose qui n’avait pas de prix,
et qui était unique : aucun Etat ni Eglise ne pouvait
la classifier. Elle était sur le chemin de la vie

en plein milieu, et ne pouvait être comparée
qu’à elle-même. Elle n’eut pendant longtemps
aucune valeur d’échange, puis elle occupa
toute ma réalité : c’était ta gaieté.

Ce bien tu l’as détruit de ta propre volonté ;
petit à petit, avec tes seules mains ;
gaiement ; il t’en est resté

un fond inaliénable : mais le pourquoi
d’une fureur pareille dans ton âme contre
notre amour aussi chaste m’échappe.

Œuvre posthume de Pier Paolo Pasolini, Le dada est une suite de poèmes d’amour composés selon les règles de l’art héritées du somptueux poète Italien François Pétrarque, j’entends ici l’art du sonnet. Pasolini s’approprie la forme en un style qui se propose en une certaine simplicité et tranche avec les grandes œuvres en vers publiées de son vivant. Ici le poète joue au poète, il ne fait pas de la poésie, le monde s’est absenté du vers pour laisser place au temps et aux amours. C’est là la force du poète : partir d’amours quasi banales pour réfléchir le sens de la vie comme affect, une sorte de traité poétique de la passion. Mais voilà, c’est la contingence de l’aimé qui décide du tournant pour ces poèmes d’amour. Pasolini aime un jeune homme, un acteur, qui au fur et à mesure lui refusera son amour, aimera une femme et se mariera à elle, ôtera ainsi tout espoir à Pier Paolo. Pour l’homosexuel c’est la trahison suprême, c’est l’agression et l’incrédulité, pour lui l’hétérosexuel insulte l’homosexuel, le mariage « petit bourgeois » s’écrase contre le communiste : expositions de ses propres limitations affectives et sociétales. Il n’y a dans le cœur de l’auteur pas d’issues raisonnables autres que la mauvaise foi, le fait de se mentir, se dire et s’exclamer que l’autre est malheureux pour s’inscrire en fantasme imparable autant qu’improbable : raison de violence. La déraison est-elle passion jusqu’à ce que la passion s’invente des raisons frôlant la paranoïa, en tout cas Le dada du sonnet en est l’exposition entre les bribes d’auto-explication. Une longue suite comme la lumière de midi se rend au crépuscule où se déroulent en roue libre l’amour et l’écho finissant, s’écrasant dans le silence et la solitude. Mais ce n’est pas tout, car ce qui fait la beauté au-delà du style et de la langue c’est la vérité vécue et exprimée qui se fait écho en nous. Que l’on aime femmes, hommes (ou garçons à l’instar de PPP), on observe ici l’être proposé dans sa détresse, sa sincérité et donc dans sa vérité.
Ce Que Poésie Devait Exprimer.
CQPDE