En tant qu’explorateur de nouvelles expériences, je me considère personnellement comme un niais fini.
Militons ensemble pour assumer notre niaiserie, nous y gagnerons en humilité.
Apologie d’un art niais
THEORIE DU NIAIS
Pour débuter dans mon approche du niais, je propose de le définir un peu plus précisément que la définition du « naïf un peu sot » que l’on admet communément.
Le vieil adjectif de chasse "niais" désigne un jeune rapace, perché dans son nid et encore incapable de voler ; On pourrait faire le rapprochement avec les premières toiles de grands peintres : les oeuvres de jeunesse sont souvent appréciées pour leur rôle didactique, parce qu'elles montrent souvent la genèse d'un style et de tout un vocabulaire de formes et de couleurs qui auront finis d'être théorisés avec la maturité de l'artiste. Pour beaucoup en effet, une carrière artistique procèdera de l’affinage de quelques « intuitions » pressenties de manière précoce.
Ces intuitions, que d’aucuns pourraient nommer « talent » ou encore « génie » par moment, seraient donc présentes sous formes embryonnaires dans ces oeuvres. Ce n’est bien sûr qu’avec le travail et la persévérance que s’accomplira par la suite la destiné de l’artiste. L’oiseau s’envole du nid, il accompli ce pour quoi il est fait, il est déniaisé.
Or c’est là que le bât blesse : qu’advient-il de ces oeuvres niaises dont les créateurs n’ont pas su exploiter la substantifique moelle ? Ce qui pose une autre question : si l’artiste de talent est capable d’analyser ou du moins d’exprimer par son art les intuitions qu’il a pressenties, n’existe t-il pas partout des intuitions latentes, parfois générées par tout un chacun ?
On imagine bien qu’il n’existe pas d’art niais à proprement parler, mais la niaiserie joue un rôle important dans le processus de création, en cela qu’aucune création ne serait vraiment possible sans déniaisement :
L'homme ne fait guère qu'inventer. Mais celui qui s'avise de la facilité, de la fragilité, de l'incohérence de cette génération lui oppose l'effort de l'esprit. Il en résulte cette merveilleuse conséquence que les plus puissantes « créations », les monuments les plus augustes de la pensée, ont été obtenus par l'emploi réfléchi de moyens volontaires de résistance à notre « création » immédiate et continuelle de propos, de relations, d'impulsions, qui se substituent sans autre condition.
PAUL VALÉRY, Variété V, 1944, p. 87.
Le concept de niais étant assez vague, je vous propose de le situer au moment de cette « facilité et de cette fragilité » dont nous parle Valéry lors de la formation d’une idée. Le niais sera donc une pensée, un ressenti ou encore une intuition envers laquelle la « résistance » réfléchie ne s’opère pas ou mal : soit parce que l’expérience nécessaire n’est pas acquise, soit parce qu’il existe des « barrières » ou « écrans » qui interfèrent et que nous tâcherons de cataloguer par la suite. Il devient donc important ici de voir que pour déceler le niais –tel que l’on se l’imaginera personnellement-, il conviendra de définir les expériences manquantes ou les raisons qui font que ces expériences n’ont pas été assimilées.
RECONNAITRE SON NIAIS
Il y a quelque chose de charmant dans le niais qui tient à la fois de son côté stupide, de la pitié qu’il inspire mais aussi souvent de l’envie qu’il génère et du côté mystérieux qu’il renferme.
Ce n’est pas véritablement affligeant, car il y a de la nostalgie dans le niais, puisqu’il se réfère souvent aux premières expériences et donc aux souvenirs des émerveillements qu’elles ont pu produire chez nous. C’est une composante de la vie et de sa construction fonctionnelle : le nourrisson qui s’exprime en agitant les bras de manière désordonnée, l’oisillon qui s’élance du nid et qui s’écrase lamentablement... toutes ces niaiseries évoquent chez nous de la sympathie et de la compassion.
Dans un second temps, on jugera différemment le niais selon la part de responsabilité qu’aura l’émetteur de la niaiserie en question : quelqu’un d’intégré socialement, mais qui ne possèdera pas la culture minimale commune, ou qui se sera mis en position physique ou psychique d’incompétence face à une situation donnée, sera simplement jugé comme stupide, idiot, sot. Le « vrai » niais, tel que chacun pourra le définir subjectivement, devra justifier d’une base de naïveté indéniable.
Notre niais renvoie ainsi à quelque chose situé à mi-chemin entre la naïveté et la stupidité. On pourra toutefois trouver différentes catégories dans lesquelles ranger tous nos niais ; Il y a d’abord les deux familles principales :
-les indécis (qui n’ont pas encore compris)
-et les convaincus (qui n’ont pas encore été contredits)
Ensuite, il y a les « barrières-écrans » qui font que les niais restent niais :
-les « fleur bleue »
-les incrédules mystiques
-les philosophes
-les brutes
-…
(A SUIVRE)
![]() |
![]() |
---|