Héros limite (Roumain de langue française, 1953, ≈80p)
de Ghérasim Luca

Extrait :

LA MORPHOLOGIE ET LA METAMORPHOSE

C’est avec une flûte
c’est avec le flux fluet de la flûte
que le fou oui c’est avec un fouet mou
que le fou foule et affole la mort de

La mort de la mort de
c’est l’eau c’est l’or c’est l’orge
c’est l’orgie des os
c’est l’orgie des os dans la fosse molle
où les morts flous flottent dessus
comme des flots

Le fou est ce faux phosphore qui coule
phosphore qui cloue la peau du feu
aux eaux aux flots de la porte
alors que la mort de la mort
de la mort morte et folle
n’est que le lot le logis de la faute
qui fausse la logique de loup doux
de la forme
de la forme de mot en forme de mort
en forme de phosphore mort
qui flotte au-dessus de la fausse forme
c’est le loup du faux cette forme
le faux loup qui fait qui ferme
les fausses portes
qui coule sous la fausse faute
et qui fout qui fout qui fouette
la peau d’eau de la mort
[…]

 

INITIATION SPONTANEE

Le peigne tentaculaire
et spectral
de mon nom tétragramme
peigne
la belle chevelure
terminologique
poussée
sur le corps
de Olga

de même que
 la fameuse position
érotique
dénomée « le cheval »
peigne la chevelure du
néant
le peigne hypothétique
de mon signe nominal
peigne
la chevelure spectrale
de
Olga

[…]

 

En matière de poésie moderne même quand on s’annonce dans la mouvance surréaliste il n’est pas toujours évident de montrer en quoi sa «performance» n’est pas une simple arnaque. Pour ma part j’ai tendance à voir dans certains modernes comme Ghérasim Luca, une poésie s’élaborer dans un mouvement long qui prend son envol et dévoile sa précision poétique par une sorte de persistance littéraire. Beaucoup de mots pour dire que sur deux lignes la poésie de Luca peut ressembler à un jeu de poète de rue, voire de rappeur, mais que la teneur, l’enchaînement, la direction que prend le sens, nous amènent vers un voyage réel, une pensée, une vie. Une vie désorientée, violente, sans papiers dans un pays étranger où l’amour se frotte au désespoir et où le surréalisme rejoint, c’est l’époque, le roman de l’absurde de l’après- guerre. Il faut d’abord à défaut d’expliquer tenter d’exprimer le non sens, puis prendre une femme pour se sauver de la vanité de la vie et des mots des corps, des corps de mots, des mots décors qui deviennent des jeux de langue, des performances véritables miroirs à un monde difforme. La poésie de Luca ne vivote pas, elle vivifie et soulève l’admiration quant à sa virtuosité, tant virtuose que l’on pourrait la taxer de non vertueuse car elle créera à l’instar de celle de Mallarmé de bien mauvais imitateurs. Le secret c’est que Ghérasim Luca est le seul véritable hors-la-loi, dans un monde où tous prétendent à l’iconoclasme. Une fureur omniprésente dans des textes chaotiques ou sensuels, où la désintégration du parlé sous forme d’échos, de redites multiplie les chutes, les écarts. La foi du poète est ici sa folie.