La mère à boire (1987, France, ≈100p)
de Ludovic Janvier

Extrait :

Si voir Existe à Peine

 

Par chaque tour de roue avec son grincement
la charrette qui vient vers toi chargée de foin
te calme et te fait mal on dirait que tu pèses
en un moment beaucoup plus lourd car elle traîne
après elle tout l’été que tu regardais
passer enfant sans le voir et c’est maintenant
que tu vois mais ça n’est plus lui ça n’est plus toi
rien qu’une odeur de foin un grincement de roue
dans un pays qui est ailleurs une autre vie
que veut dire oublier si voir existe à peine

 

 

Le Mot Lac

 

Rien qu’à prononcer le mot lac
le ciel touche à votre figure
un vent clair vous prend aux cheveux
la fraîcheur vient au bord de l’œil

Ce frôlement va devenir
un vol d’oiseau qui fend la soif
cette calme respiration
est l’eau qui baigne la pensée

Au fond du noir instant sans bruit
l’immense puits s’ouvre aux poumons
oubliée la frappe du sang
on est aussi léger que l’air

« De l’air donc dans cette modernité » pourrait-on crier à la suite de ces post-surréalistes, mallarméens, dubouchiens, chariens, artauiens. De l’air mais pas trop non plus, il faut garder le niveau et ne pas consacrer l’art niais ou le slam en une sorte de révolution de la moquette, en bref, par ces poètes qui à défaut de raser de près, épousent le sol avec obstination. Seulement il n'est pas toujours facile de se tenir en équilibre face au fameux clivage de la tradition et de la modernité. Mais l'équilibriste donne sa solution au poète: elle consiste en une élévation. Alors on s’élève, on s’élève, on relève même le goût que l’on avait oublié. On se dit cela ressemble à … ou cela ressemble à … en tout cas cela ressemble à quelque chose et pour cela c’est déjà beaucoup d’avance de prise sur de trop nombreux contemporains qui singent sans parvenir à produire autre chose que des grimaces chez leurs lecteurs. Seulement pour un Moderne demi-sel comme le père Ludovic Janvier, le problème c’est qu’on y voit les coutures, c’est même un homme: Haïtien et Français, amoureux, ami, sensible…bref, il a tout pour nous déplaire, à nous les modernes. Toute une vie qui se propose à venir dégouliner de sens sur notre chère modernité, et quelques fois, horreur suprême : un parfum d’aventure venant remplir les recoins de ces poèmes. Mortel marcheur des îles lointaines quels opprobres viens-tu jeter sur nous avec tes accents nostalgiques. Il y a des bons comme ça qui n’arrangent personne sauf ceux qui les lisent. O André Breton pardonnez-moi, je suis un indigne pécheur, je vous trompe avec un fils de Supervielle, oui j’avoue. Mais comme ce précédent, le père Janvier reste un moderne, alors l'affaire est vénielle, sa poésie faite d’air, d’eau, parfois de deuil, et de couleurs locales sont savamment mélangées sous un filtre impressionniste, ainsi l'ami faite-il mouche en notre présent, et à défaut de suréalisme, monsieur surimpressionne.