Possibles Futurs (France, 1996)
d'Eugène Guillevic

Extraits :

Du Silence

Est-ce que l’océan
Dans ses profondeurs

Possède autant de silence
Que j’ai en moi ?

Sinon, est-ce
Pour se libérer de son bruit

Qu’il vient sur nos côtes

Faire tout ce tapage
Ravager ce qu’il peut
Pour enfin s’affaler

Comme sur un lit
Fait de douceur ?

 

Dans mon royaume,
Pas d’arbres, pas de maisons,

Que le silence
Et ce qu’il m’encourage

A lui apporter par ma présence,
Mon désir.

Nous restons ainsi
A jouir l’un de l’autre

Comme font le ciel
Et sa charge d’azur.
[…]

 

 

Le soir

Dire
Quand commence le soir-

Le passage du soir
A la nuit
Est plus marqué

Le soir
S’aperçoit surtout
A sa disparition.

*

Essaie de voir

Naître le moment
Où se fait le passage

Pour cela
Les oiseaux t’aideront
Car eux, ils savent.
[…]

 

Eugène Guillevic n’aime pas les adjectifs, il n’aime pas les titres longs mais plutôt l’évocation à la fois simple des mots armés comme « étier », « sphère », « paroi», « inclus», il n’aime pas les phrases longues, il aime les vers, et j’aime Eugène Guillevic. Guillevic-Poète est né en même temps que Ponge-Poète, il est né de la confusion des surfaces comme l’autre est né de la confusion des objets, mais pour le poète breton, c’est bien après Francis que la France lui rendra. L’âge fera le lit de sa poésie avec des premiers recueils à 40 ans et un zénith de l’art entre 60 et 70 ans, les vers qui sont ici proposés sont écrits par un homme de 85 ans et ce ne seront pas les derniers. Les poèmes qu’il n’aura pas écrits : « épars », « roc », ils l’auront été en substance dans chaque morceau de sa vie poétique. Une poétique où l’oiseau, le temps, le matin, la source tiennent leur langage, une sorte d’envoutement humain des espaces habituellement silencieux. A refuser un silence qui s’impose, le poète s’applique à graver sur le papier comme le fait les pas du rouge-gorge sur la neige : c’est ainsi une richesse de l’évanescence. Ses mots ne connaissent pas la vanité, ils sont un tissage méticuleux et régulier, non pas de petits poèmes mais de longs filets d’interrogation poétique, dialogues sur l’essence d’un ça. Une tentative de réponse autant à soi qu’aux éléments, la création d’un écho aussi naturel que celui du rocher, aussi fluide que la source incluse..