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RÉSUMÉ

Où l'on voit qu'il peut se produire de belles "rencontres" entre un individu et une oeuvre d'art.
Et où on réalise alors que ces oeuvres prétendent à vivre.


CONFIANCE (?)


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Rappel sur l'effet Koulechov

Voir le tableau au Louvres


VOS COMMENTAIRES

 


 

AUTEUR

Nicolas Lossec

 

La cruche cassée de Greuze et l'expérience allégorique.

 

L'expérience que j'ai eue avec ce tableau a surtout été une "empreinte", plus qu'une rencontre. C'est un peu flou, mais vous allez comprendre...

Tout a commencé lors d'une visite au Louvres, il y a quelques années. Ce genre de visite où l'on accompagne un parent ou un ami monté à la capitale; on fait tout à la va-vite, histoire d'en voir le plus possible.
On n'avait donc pas choisi de département en particulier et on enchaînait les salles, lorsque ce tableau me scotcha pendant un long moment. Je pensait que c'était du Fragonard au début, ce qui me valu plus tard de ne pas le retrouver en reproduction.

Ce qui frappe d'emblée chez cette jeune fille, c'est le regard. Il est surprenant ce regard car il semble mystérieux, mais ne reflète  rien. Si on ne regarde que ça, c'est un regard neutre.
Rien de très impressionnant me direz-vous, la plupart des portraits présentent un regard inexpressif, de même que le reste du visage, c'est une convention classique.
Seulement ici ce n'est pas un portrait.
C'est d'autant plus évident que la mise en scène du corps est largement équivoque : une cruche brisée au bras, la poitrine à demi dénudée par une robe toute chiffonnée... il s'est clairement passé un truc ! La question est alors de savoir quoi.

Elle ramène des fleurs dans sa robe, elle revient donc du jardin.
On imagine aisément, de par sa jeunesse, qu'elle a pu s'aventurer un peu trop loin dans les fourrés pour cueillir les plus belles fleurs. Son insouciance, son innocence de jeune fille est ainsi mise en scène à travers sa tenue peu présentable. C'est légèrement érotique, c'est frais...voilà.

J'en étais à peu près là de ma contemplation lorsque je fus appelé à continuer ma visite.

***

Ce tableau se mit alors à me hanter. Un vrai coup de foudre en somme !
J'y repensais souvent bien (ou à cause) que son sens m'échappait encore. Alors bien sûr, je n'aime pas parler de "sens" pour un tableau, c'est complètement idiot; mais là pour le coup je n'avais effectivement pas les codes nécessaires pour comprendre l'enjeu. Quelque chose qui pourrai justifié un tel regard, surtout.

J'ai voulu le revoir, et y passer un peu plus de temps, mais la salle était fermée pour rénovation à cette époque, comme par hasard... et impossible de trouver une reproduction de "ce Fragonard".
Et puis à l'époque, le Louvres n'avait pas numérisé toute sa collection. Maintenant c'est plus facile.

J'insiste sur le fait qu'il se soit écoulé beaucoup de temps avant que je revois la toile, parce que c'est précisément de là que sont nés les fantasmes et les rapports affectifs que j'entretien avec celle-ci.

***

Et puis fatalement je suis retombé dessus un jour. Mais cette fois j'avais un peu plus de bagage, et deux éléments nouveaux à ma connaissance :
- Le tableau était de Greuze, et était intitulé: La cruche cassée.
-
La cruche brisée symbolise la perte de la virginité.

Ah ! Ben oui, on ne peut pas être plus clair ! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt, me dis-je.
Tous les indices et toutes les intuitions se mettent alors en place :
Le ciel sombre qui ne présage rien de bon, le regard triste du Lyon de la fontaine qui indique comment "voir" le tableau au spectateur, et puis encore les mains de la jeune fille, crispées non pas sur les fleurs comme on peut le croire au début, mais plutôt sur son sexe...
Tout fonctionne alors comme une parfaite allégorie. La fille vient de se faire dépuceler (plus ou moins par surprise) au fond du jardin, et la pauvre s'en trouve toute chose.



Tout est parfaitement composé dans ce tableau, les références sont multiples et même la forme de la toile se met à faire du sens...
Mais c'est sur le regard que je reviens à présent. Il me semble plus triste à présent, plus vague, mouvant.
Il est pourtant exactement comme je l'avais décris la première fois : neutre, sans expression.
C'est cela qui choque maintenant. La fille n'a plus d'expression. Elle vient assurément de perdre quelque chose, et d'en découvrir une autre. Et dans le traumatisme immédiat dans lequel elle se trouve, son visage devient exactement comme l'effet Koulechov au cinéma, c'est à dire que c'est le spectateur qui y met sa propre empathie et y lit les émotions qu'il subodore comme siennes.



Alors maintenant, n'importe quelle petite présentation du tableau fera la même analyse, et en quelques lignes. Il n'empêche tout le chemin pour y arriver fut pour moi une démarche personnelle, et ça change beaucoup l'affect portée à l'oeuvre.
C'est comme lire une critique de ciné avant de voir un film, non seulement on perd une partie de la découverte, mais en plus on a une vision qui est forcément orientée.

Tenez, rien que le fait que vous ayez lu mon analyse va assurément changer le regard que vous allez porter au tableau dorénavant. CQFD (ha, ben non, y'avait rien à démontrer...)


bas©EX-ES 2007 end