L’homme assis dans le couloir (France, 1980, ≈50p)
de Marguerite Duras

Extrait :

Je vois qu'il laisse faire et
regarde de nouveau avec elle.
Qu'il la regarde faire, qu'il se
prête à son désir autant qu'il lui
est possible. Qu'il tend a cette
affamée l'homme qu'il est. C'est
dans les cheveux de la femme
que maintenant elle bat toujours
des soubresauts du coeur.

Il crie doucement une plainte
d'intolérable bonheur.
Le ciel passe lentement dans le
rectangle de la porte ouverte. Il
avance tout entier, on dirait à
la lente vitesse de la terre. Les
masses de nuages au dessin fixe
sont emmenées dans la direction
de l'immensité.
la bouche ouverte, les yeux
clos, elle est dans la caverne de
l'homme, elle est retirée en lui,
loin de lui, seule, dans l'obscu-
rité du corps de l'homme.[...]

Peu importe la forme, le genre ou la longueur, Savannah Bay, Césarée, L'Amour ou l'Amant de la Chine du Nord, roman, théâtre, faux théâtre, faux roman, vraie poésie ou non-poème, c'est du Duras. Un court écrit et pourtant une fière illustration de ces années d'or, entre 1965 et 1980, sa nouvelle vague. Loin des prosaïques Barrage contre le pacifique et L'Amant trop bons à vendre, bons à donner aux Goncours, romans de concours. Trop bons mais trop bus, de la rareté s'il vous plait.
Ici Marguerite Duras nous livre un savoureux récit aux êtres diaffanes non encombrés de style mêlant érotisme et aporétique. Histoire de perception, de séduction. La lente progression de cette homme vers l'unique traversant les ombres, pour la découverte des corps du désir d’amour et du désir de violence par et dans le désir d’amour. L’écriture est brève, elle rejette les noms, aimante les lieux comme des corps de femmes. Dans ce flou : ce couloir, et assis en ce lieu : c’est sans doute l’image d’un Yann Andréa, futur amant impossible de la vieille dame, elle l’observe, lui aussi. Ils sont sans doute à quelques pas de la mer et son doux ronflement semble seul délimiter l'espace de ce casi non-lieu. C’est juste l’histoire d’un raprochement très lent comme des mains qui s’approchent sur un être se devant de traverser un corps pour se rencontrer dans l’orgasme. Au milieu la violence, la violence peut-être de ne pas être soi, ça frappe alors pour comprendre, puis ça se tait, sans s'éteindre, on étreint la folie en même temps que l'autre. Ils s'abiment, elle s'abîme. Puis il y a le fait de rester, de ne pas accepter de s'enfuir, voici l'acte de par la persistance. Mais la jouissance n’est pas vraiment au bout, au bout c'est encore la naissance du désir, le désir d’aimer, d’être aimé/e et d’y croire sans vraiment le dire, par les mouvements de lèvres sans son : une dialectique du désir du verbe à la chair.