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RÉSUMÉ

"J’ai l’intuition d’une jouissance dans les blancs."


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VOS COMMENTAIRES

 


AUTEUR

Sébastien Cochelin

 

Tepidarium
Tepidarium - Lawrence Alma-Tadema

 

Pour une véritable poétique du désir et du jouir

 

 

Ele avoit les caviaus blons et menus recercelés,            Elle avait les cheveux blonds et frisés,

et les ex vairs et rians,                                                   les yeux vifs et riants,

et le face traitice,                                                           le visage allongé,

et le nés haut et bien assis,                                            le nez haut et régulier,

et lé levretes vremelletes plus que n'est cerisse            les lèvres fines et plus vermeilles que la cerise

ne rose el tans d'esté,                                                    ou la rose en été,

et les dens blans et menus;                                           les dents blanches et menues;

et avoit les mameletes dures qui li souslevoient           ses deux petits seins soulevaient son vêtement, 

sa vesture ausi con ce fuissent deux nois gauges;         fermes et semblables à deux grosses noix,  

et estoit graille par mi les flans                                     sa taille était si fine

qu'en vos dex mains le peusciés enclorre;                     que vous auriez pu l'entourer de vos deux mains;

et les flors des margerites qu'ele ronpoit                      les fleurs des marguerites qu'elle brisait

as ortex de ses piés,                                                     en marchant

qui li gissoient sor le menuisse du pié par desure,       et qui retombaient sur le dessus de ses pieds devenaient

estoient droites noires avers ses piés et ses ganbes,    tout à fait noires, comparées à ses pieds et à ses jambes,

tant estoit blance la mescinete.                                    tellement la fillette était d'une blancheur de neige.    

 

Aucasin et nicolete - Anonyme 

 

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Je trouve que dans notre culture contemporaine il n’y a pas trop de sexe mais trop de faux sexe. Par le cinéma, la littérature « érotique » on nous montre une sexualité qui nous désindividualise qui se détourne de notre propre histoire personnelle, en quelque sorte nous dénie au lieu de nous emporter. Au final il n’y a pas de désir mais des hantises, le bluff de l’illusion de l’excitation. La pornographie c’est en quelque sorte une science du mensonge, un  jeu sadique qui consiste de prime abord à retirer l’amour de la sexualité, ce qui ne serait pas si dangereux en soi si on n’en faisait pas une culture unique où l’érotisme ne serait que la version sans pénétration qui pour le coup est décevant. Mais surtout c’est faire des situations qui ne nous ressemblent pas. Nous montrer qu’« elle joui » dans un système phallocentrique c’est oublier le « je joui » et que la dimension réelle de la jouissance est le fantasme en tant que construction poétique, amoureuse et personnelle. C’est seulement après que peut s’insérer le vrai désir, dans la concrétisation d’ébats plus ou moins alambiqués et non l’inverse : ce n’est pas la position du cochon vert ou de la banane plumée qui créeront le phantasme. En dernier lieu je dirais que l’œil posé sur le corps pornographique n’est jamais celui du soi, ni même celui du voyeur et faire l’amour avec quelqu’un qu’on connait mal est excitant certes, mais réussit plus rarement. Qui peut croire que faire l’amour rapidement sous le stress entre deux stations de metro est l’expérience suprême ? Pour faire l’amour il faut être bien et non être stressé d’être pris en flagrant délit. Flagrant délire de pornographe qui veut nous faire avaler n’importe quoi sur la sociologie des amours occidentaux.
Je ne crois pas non plus à ces rêves de Casanova ou de Don Juan où les femmes se suivent comme différentes espèces de marchandises où les noms et mensurations ne sont plus que nomenclatures. Il y a  dans le désir non seulement le désir de l’autre mais le désir de soi comme unique pour l’autre, comme cette réalité que nous somme irremplaçables et sans équivalents. Sortir de l’égoïsme c’est voir l’autre comme un autre soi même : aussi unique, voir en ce couple un rêve des fois naïf mais souvent heureux et nécessairement éternel et si le couple se défait, il se refait en rêvé à l’aube d’autres amours. Ce n’est pas la fidélité comme soumission, comme fatalité ou comme projet bourgeois, c’est la volonté du meilleur pour le jouir et si le désir peut s’ébrécher, c’est à nous de savoir aiguiser nos armes, peut être par une culture érotisante, par une célébration du corps et des corps les uns dans les autres auréolés de jouissance. Beaucoup du malheur des hommes modernes, hors de la solitude qui compose souvent une poétique de la mort, vient de cette incapacité à mettre de la culture (de l’humain) dans le court des choses qu’on n’ose plus appeler vie tant cela peut paraître absurde.
C’est à une poésie du désir réel et de la sexualité complète que j’en appelle en commençant par une poétique des préliminaires. J’ai l’intuition (in tendere : je tends, c’est encore le désir en sa notion d’appel, de tentation positive) d’une jouissance dans les blancs. Quand le vers s’achève en son point de non retour, ou quand il se suspend dans l’ellipse, quand la métaphore est maline et que le lecteur ajoute désir et jouissance dans un unique mouvement de complétude, la liberté est totale; mieux que libertaire, l’esprit est tourné vers la jouissance commune s’accroissant mutuellement comme l’onde se propage à travers les eaux, l’énergie de la vie reprenant ses droits sur la mort. En amont, en aval, il y a l’amour qui est à disserter, une dissertation qui doit être argumentée pour que peu à peu se dessine les mouvements de l’ombre. Et si ces prémisses ne sont pas explicités, ils doivent être contenus dans l’ellipse, dans l’exposition du corps comme traces et signe, c’est ainsi qu’une pénétration prend ses droits en s’insérant dans la vie faisant la différence avec le viol de l’autre ou de soi même. Quand nous même faisons l’amour, il y a modification des corps, l’illusion du désir les rend immenses, beaux, ronds, à l’image d’une mythologie qui se crée entre désir et phantasmes, illusion proche du cinéma de la poésie des sens. C’est dans cette culture du corps qu’il faut puiser les épices de la poésie, peindre le réalisme de l’irréalité des nuits ardentes. Car il n’y a pas vraiment de sexe sinon en l’autre comme résonance, il y a le désir qui est la pulsion qui nous pousse, qui nous anime. Puis il y a la jouissance qui nous inonde, nous ressuscite, nous transcende. Si nous créons la vie sur la route de l’orgasme qui nous relie à notre propre origine ce n’est pas un hasard, c’est par ce que c’est notre surhumanité qui s’exprime dans une célébration de la vie par l’acte. On vit pour vivre, on aime pour aimer, on se pénètre pour se jouir en notre qualité de vivant, c’est tout cela que l’on doit chanter dans un combat contre l’idée en nous de la mort prenant l’orgasme à bout de bras pour le triomphe de la vie comme élévation révélante.

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La jeune fille

 

Amour de jeune fille
Cheveux bleus ou bien blonds dents fraîches seins mouvants
Jambes de guêpes assassines portant l’entaille
Fraîcheur de cœur insensé dans le vent !
Que vous fait un visage austère de larmes sèches, que vous fait
ce visage entrevu et errant ?
Enfant de jeune amant qui déjà savez tout ce qu’il faudra savoir.
Qui allez retrouver le dieu dans ses hauts langes,
Que vous donne le visage intense et d’expérience où se sont
arrondis autant de ciels chanteurs, que la douleur acquit aux
formes d’un lit noir ?
Amour de volupté que vous fait la tristesse
Vous n’êtes point la femme mort ô jeune taille :
Le vent du soir, flatté d’ironie et promesse, ah ! Qu’il frappe
pour vous le visage du chant
Et fuyez ! Jambes de guêpes portant l’entaille.


Pierre Jean Jouve, Mélodrame (1967)

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