Extrait :
Depuis, je mène une vie que, je le crains, vous aurez du mal à saisir, tant elle s’écoule hors de tout esprit et de toute pensée ; une vie qui, certes, ne se distingue guère de celle de mes voisins, de mes proches et de la plupart des nobles propriétaires terriens de ce royaume et qui n’est pas sans instants joyeux et vivifiants. Il ne m’est pas facile de vous indiquer en quoi consistent ces bons moments ; une fois de plus les mots me font défaut. Car c’est véritablement quelque chose de totalement innommé et d’ailleurs à peine nommable qui, remplissant comme un vase un quelconque phénomène de mon entourage quotidien d’un flux débordant de vie supérieure, s’annonce à moi en de tels moments.
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Un arrosoir, une herse abandonnée dans un champ, un chien au soleil, un pauvre cimetière, un estropié, une petite ferme, tout cela peut devenir le vaisseau de ma révélation. Chacun de ces objets et mille autres pareils sur lesquels le regard d’habitude glisse avec une évidente indifférence, peut soudain pour moi, à n’importe quel moment qu’il n’est aucunement en mon pouvoir de provoquer d’une quelconque façon prendre une valeur sublime et émouvante qu’il me semble dérisoire de tenter d’exprimer par des mots. Il arrive même que la représentation précise d’un objet absent soit l’élue de cet incompréhensible phénomène et se voie remplie à ras bord de ce flux de sentiment divin jaillissant brusque et doux.