Extrait :
Pouvait-il en être autrement ? L’être humain tient debout, lui seul, mais il est allongé quand il se repose pour dormir, pour faire l’amour, pour mourir et, dans cette triple qualité de station couchée, il se distingue de tous les autres êtres. Quand elle est debout, destinée à croître, l’âme de l’homme va des abîmes sombres de ses racines plongeant dans l’humus de l’existence, jusqu’à la voute stellaire du soleil, projetant vers le haut de sa sombre origine, issues des empires de Poséidon et de Vulcain, conduisant vers le bas la clarté transparente de son but appollinien, et plus cette croissance vers les hauteurs la transforme en forme saturée de lumière, plus, se ramifiant et se développant comme un arbre, elle devient une forme par les ombres qu’elle reçoit, plus elle est capable d’unir l’obscur et le clair dans l’ombre feuillue de ses branches ; mais quand elle s’est étendue pour le sommeil, pour l’amour, quand elle est devenue elle-même un paysage déployé, sa tâche n’est plus d’unir les éléments opposés, car lorsqu’elle dort, lorsqu’elle aime ou qu’elle meurt, elle ferme les yeux et elle n’est plus ni bonne ni mauvaise, elle n’est plus qu’une seule écoute infinie : c’est une âme infiniment étendue, enclose sans fin par le cercle des temps […]
[…] – de même que dans ses premiers poèmes il n’avait pas osé aborder la mort, mais s’était plutôt adonné à l’aimable et tendre pouvoir d’un amour ardent de l’existence, afin de se garder de la menace déjà présente-, il avait dû abandonner de plus en plus cette résistance car la force poétique de la mort s’était bientôt avérée la plus puissante, elle s’était conquis pas à pas un droit de cité qui, dans l’Enéide, selon la volonté des dieux, s’était transformée en une complète souveraineté, pleine du fracas métallique des armes, l’immuable souveraineté du destin, sanglante et exhortante, la souveraineté universellement dominatrice de la mort, qui pour cette raison se domine et s’abolit elle-même. Dans la mort, en effet, tout le simultané de la vie et de la poésie est conservé dans son abolition universelle ; la mort est remplie du jour et de la nuit qui se pénètrent mutuellement pour former la nuée doublement colorée du crépuscule ; oh ! la mort est remplie de tout le Multiple qui procède de l’Un, qui se referme en elle en une nouvelle unité, elle est remplie de la sagesse grégaire du commencement et de la connaissance solitaire de la fin, […]