L’été langue morte (France, 1982, ≈30p)
de Bernard Noël

Extrait :

[…]
                                    un soir
au même instant nous fûmes
moi sur toi
et la pluie sur le toit
oui
     personne ne parle à personne
mais nos langues parfois
sont celles de deux bêtes
qui jouent et s’entendent
                                        oui
qu’est-ce qui est possible
le désir
l’usure du désir par le désir
et pourtant
tu fais partie de moi
somme le souffle fait partie
de la bouche qu’il abandonne
je voudrais
       comment vivre
je voudrais
je voudrais dévisager en moi
ce qui a besoin de vouloir
et là-dessus mes lèvres chercheraient
la fente
     et tu dirais
fais ton visage
                     et il y aurait         
ici même
le face à face
de moi et de mon oubli
mais quoi
qu’est ce qui est en jeu
écrire
poser ici
un mot-trou
poser ma bouche
et que ce O
soit l’ouvert
d’une belle folie
maintenant
     maintenant
maintenant

 

 

-Extrait bonus pour ceux qui sont sages-

L’image que j’ai toujours eu de Bernard Noel est d’abord celle de la perfection d’un style, d’un travail conscient de l’art poétique qui s’appuie sur la technique maitrisée pour atteindre la profondeur désirée, ce poète se situe bien au-dessus de la mêlée contemporaine, il faut le dire. Commentant autrefois les peintures de Zao Wou-Ki, c’était son trait qu’il commentait en quelque sorte, un trait de toutes les lisières, de l’apparition furtive, du contre jour. La contemporanéité en art n’a de raison que dans l’emphase qui se crée avec l’expression comme la résolution d’une sorte d’équation poétique.
L’été langue morte est une de ces équations où chaque ligne se fait étape de la résolution de l’événement sensuel, tragique, éternel de l’amour qui se noue puis se délie dans l’expression des âmes et des corps. On a souvent évoqué Bataille pour Bernard Noël à raison, mais la bataille est plutôt l’écho réel de cette narration. Trois chants de bataille, trois chants engagés dans l’humidité de l’autre comme à la recherche de sa propre phénoménalité. Le poème se descend, la creusée est profonde dans un mélange de Je et de Tu au passage de l’O, pas de vagin ni de pénis, bien plus : l’écartement d’un visage, le glissement d’un souffle léger sur un cri étouffe, humanisme par la folie des âmes s’entre pénétrant. Le sublime est derrière la langue de Noël, mais une nativité bien autre est l’enjeu de ces jeux : celle d’un glissement vers l’éther du temps, du mot comme mouvement comme amour. L’amour avec les préliminaires des regards, et les digestifs verbaux comme un souffle tiède apaise les sens, la petite mort peut alors se reposer de sa résonance, rêver l’automne, revêtir les parures de l’unique en d’autres dialogues platoniques.