Le chemin familier du poisson combatif (France, 1992, ≈200p)
de Pierre Alferi

Extrait :

IL SUFFIT DE PLUSIEURS DEGRES DE LIBERTE, PLUSIEURS
fonctions, par exemple travail (&) promenade (&)
achats (&) rendez-vous, pour tracer ces lignes ex-
centriques mais toujours rattrapées, attirées par le pôle
d’un lieu sûr où leur écheveau se dévide. Il suffit
c’un écart minime dans les coordonnées
d’une escale, par exemple arrêté par un doute/visage/
détail d’une vitrine/variation dans la teinte
du ciel, pour faire extrêmement diverger deux
voies jumelles : arabesques, façons dont le marcheur
se déroute, le décor se délite. Il suffit
d’un retour quelconque, mais voulu
dans l’espoir par exemple de retrouver des clefs, ou
certaine chaise dans un parc, pour savoir
qu’il n’y a ni carrefour ni routine, ni choix
ni redite, car il est interdit de se croiser ; non que
les empreinte s’effacent, se creusent, le même coin
prenant, vu au travers d’un peu de temps , la profondeur
louche d’un film en 3D.

Tourné. La sortie rue de Médicis donnant sur un parterre
de spectateurs, je ne traverse pas naturellement.
De l’instant où l’on voit quelqu’un à celui où on le remet
il y a ce qu’on appelle une solution de continuité.
La lumière était normale, c'est-à-dire stable, diffuse.
J’ai aperçu une connaissance. Déçu, non par elle en particulier,
mais que ce fût une connaissance. Soudain, surimpression,
de celles qui donnent un faux relief aux endroits familiers,
puis ce visage s’emboîte. L’espace est courbé, invaginé.

La poésie n’a pas réellement d’enjeux intellectuels, malgré ces formes plus ou moins complexes, c’est aux sens premiers qu’elle appelle : la conscience de la respiration d’un monde, l’affection des couleurs sur le corps, le tragique d’une tasse de café sur une chaise vide. Pierre Alferi nous emmène dans ce sens, contrairement aux philosophes qui nous font réfléchir sur des notions d’espace et de temps, il invite à dépasser ces concepts pour vivre ces espaces et ces temps par le biais des chemins de la vie. Une vie comparée, et c’est là l’inattendu de la poésie, au parcourt d’un poisson, à la vision tachetée d’une mouche, aux espaces clos de deux épinoches, au surplace de l’escargot. La poésie est ici soumise aux paradigmes de ces expériences comme autant d’objectifs de caméra posés sur notre être dévoilant autre chose : ce qui est différent dans la précision de l’intime. Les tours sont audacieux et l’écriture sous forme de Vers/Reprise est à la fois naturelle et très précise mêlant une vision horizontale d’une expérience qui suit son court et une vision verticale dont le style plus contemporain offre la poésie comme une grenade de signes. On peut dire au final, qu’il c’est passé quelque chose et qu’à l’instar de maints essais poétiques réussis, nous avons vécu un ensemble de vies compilées autour d’un style : d’un amour de l’être, d’un amour de lettres libres et gracieuses qui nous posent en vivant face au réel.